C'était un jour d'automne :
on regardait les palombes dans le vent du sud,
on rentrait la fougère sur de lourds traineaux,
on fendait le bois en prévision de l'hiver,
on entendait les sonnailles des brebis qui descendaient de la montagne..

C'était un village où il y avait de tout :
des maisons et des jardins,
une église et un château,
des rues et des places,
des auberges et des boutiques...

C'était un homme
qui venait de loin,
qui marchait beaucoup,
qui portait un sac
et qui mangeait peu...

Mais ce jour-là
de cet automne-là,
cet homme-là avait faim !

Il entra dans le village et s'arrêta devant l'auberge;
il n'avait pas assez d'écus pour s'offrir un repas.
il arriva sur la place et entra dans l'église;
il n'était pas assez pauvre pour mendier la charité.
Il monta la grand'rue et découvrit le château;
il n'était pas assez bien pour souper avec le baron.
Il allait sortitr du village quand il vit une maison.
Elle n'avait rien de plus que les autres
mais l'homme et la femme qui étaient sur le seuil lui adressèrent un salut

- Agur, étranger, vous semblez bien fatigué.
- Oui, Dame et Sieur de cette maison, et j'ai grand faim aussi !
- Entrez je vous prie, bientôt il fera nuit.
- D'avance merci.

On présenta à l'homme le foin du fenil pour y passer la nuit.
Mais quand il demanda s'il pouvait manger une assiette de soupe
la maitresse de maison baissa les yeux et avoua
que les braises venaient de mourir et que la soupe était presque froide.
C'est un grand malheur pour une maison quand un foyer s'éteint.

Qu'importe-dit l'homme j'ai dans mon sac de quoi embraser la terre entière !
Apportez moi la soupe et mangez avec moi, s'il vous plait.
La femme disposa trois assiettes à calotte
et son mari coupa trois tranches de pain grosse comme le doigt.

Le voyageur sorti de son sac un petit pot de terre bien protégé dans un linge épais.
Et de la pointe de son couteau il en tira un poudre
qu'il fit tomber parcimonieusement dans chaque assiette.

Alors magie, miracle ou diablerie, nul ne sait,
de tiède la soupe devint torride.
Les joue de l'homme s'empourprérent.
les yeux de la femme s'embuèrent.
Et le voyageur… sourit.
Car la soupe était bonne,
fort bonne même, puisque tout le chaudron y passa.

Après le repas chacun partit dormir. (Il paraît que l'homme et la femme mirent du
temps à trouver le sommeil et que … Mais en réalité les vertus de cette poudre ne
sont pas encore prouvées par la Faculté !).

Le lendemain, au chant du coq tout le monde était levé.
Le voyageur avait déjà son sac sur l'épaule.
Il tendit à ses hôtes un sachet de papier :
-Sieur et Dame de cette maison, ce n'est pas tant votre repas qui m'a réconforté
mais votre généreuse hospitalité.
Afin que votre soupe soit toujours aussi chaude que votre cœur
voici les graines de la plante qui nous a si bien revigorés hier soir.
Prenez en grand soin, on dit qu'elles viennent de chine.
Semez-les quand le temps sera redevenu clément,
laissez le ciel arroser à sa convenance et le soleil mûrir les fruits
que vous ferez sécher à l'automne prochain.
Adieu, amis !

Un an plus tard l'homme et la femme virent l'étranger s'arrêter à nouveau devant
leur maison.
Il regardait les guirlandes de piments rouges et cramoisis
tombant en cascade du balcon et grimpant sur la façade jusqu'au faite.
Ce soir-la il mangea avec une soupe sublime qui sentait le soleil
puis il dormit dans le foin en rêvant de voyages lointains.
Quand il reprit la route le lendemain matin
il passa devant l'auberge qui affichait complet,
il vit que le château possédait un nouveau jardin potager,
et devant l'église un prèlat de rouge vétu
lui dit que depuis son passage la vie avait prit un autre goût.

Si vous pensez que cette histoire n'est que menterie,
allez à Espelette, on dit que c'est là-bas
au pays des Basques, entre océan et montagne,
que le voyageur a laissé le sachet de graines
et que l'homme et la femme dans leur grande bonté
ont disribué à tous le secret du piment.
D'ailleurs vous y verrez chaque année à l'automne
les maisons toutes tendues de piments écarlates
pour rappeler au monde entier que le bonheur est à la mesure
des saveurs que nous mettons dans notre vie quotidienne

Claude Labat, le 11 novembre 1994



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